GRAND
BAIN
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Série : millequestions
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L'auteur vivait avec sa femme et ses deux enfants dans la banlieue pavillonnaire d'une ville de province de taille moyenne. Son activité sociale n'avait rien d'excitante et de fait, son absence de frasques ne faisait jamais la une des journaux. Par ailleurs, il était de notoriété publique que son activité littéraire n'était absolument pas suffisante pour assurer sa propre survie, et encore moins celle de sa famille, si bien qu'il avait, comme bon nombre de ses confrères, une activité professionnelle alimentaire qui lui fournissait, moyennant le sacrifice de quelques heures dans la semaine, un relatif confort matériel. Il s'agissait en l’occurrence d'un poste d'enseignant en lettres dans le collège situé à une centaine de mètres de son domicile.

A la question "quelle légitimité avez-vous pour raconter comme vous le faites la destruction méthodique de la civilisation par des hordes de barbares nihilistes uniquement capables de jouir dans l'accomplissement de leurs pulsions de mort et de sexe ?" l'auteur avait répondu : "je ne fais que raconter mon triste quotidien."

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millequestions

publié le 01 novembre 2011 à 17 h 58

L'auteur avait passé la plus grande partie de sa carrière dans un lancinant anonymat qu'aucun de ses faibles tirages n'avait jamais pu troubler ne serait-ce que furtivement. Il venait de recevoir des mains d'une jeune femme docile avec qui il savait qu'il passerait une nuit alcoolisée et torride une statuette dorée récompensant l'ensemble de son oeuvre, laquelle éclatait subitement au grand jour, brûlant les yeux de tous ceux qui si longtemps avaient été aveugles.

A la question "qu'est-ce qui vous fait le plus plaisir aujourd'hui ?" l'auteur avait répondu : "ma condition de mortel qui me garantit que tout ça ne durera pas".

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publié le 08 février 2012 à 23 h 29

L'auteur se levait chaque matin, emmenait ses enfants à l'école, partait travailler, revenait le soir, donnait le bain aux enfants, débarrassait la table, sortait les poubelles, s'asseyait sur le fauteuil et s'endormait. Le lendemain, il recommençait.
Le soir, en rentrant, au volant de sa voiture, il s'imaginait souvent qu'il buvait en papotant à d'invisibles flûtes de champagne en compagnie d'artistes, de présentateurs tv et d'autres auteurs comme lui. Il se regardait dans le rétroviseur quand il essayait d'imiter le sourire de celui qui est saoul. Mais dans la petite ville où il habitait, il n'y avait pas d'embouteillages et il devait rapidement interrompre son petit jeu pathétique.


A la question "ne pensez-vous pas que le succès finira par vous monter à la tête ?" l'auteur avait répondu : "si, mais quand ?".

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publié le 29 février 2012 à 21 h 32

Le premier roman de l'auteur avait connu un succès stupéfiant. Critiques et public s'étaient accordés sur le fait que l'ouvrage renouvelait incontestablement un genre, apportait un souffle nouveau à la littérature et installait durablement son auteur aux côtés des figures importantes du monde culturel. Puis le deuxième roman de l'auteur n'avait pas déclenché le même enthousiasme. Si on lui avait reconnu des qualités et les signes indéniables du génie du précédent, on s'était aussi ému de la trop forte similitude d'avec celui-ci. Et les années qui suivirent, les troisième, quatrième et autres romans publiés n'apportèrent à public et critiques que toux gênée et haussements d'épaules jusqu'à ce que plus personne ne prenne même la peine de vérifier que chaque nouvelle publication demeurât aussi décevante qu'on pût le pressentir.

A la question "n'avez-vous pas dit tout ce que vous aviez à dire ?" l'auteur avait répondu : "on n'écrit véritablement qu'à l'instant où l'on est convaincu d'avoir déjà tout dit. On écrit véritablement qu'à l'instant où l'on n'a plus peur de mourir avant la fin de sa phrase."

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publié le 11 mars 2015 à 22 h 49

L'auteur écrivait des romans d'amour, des romans d'aventures, des romans d'épouvante, des romans intimistes, des sagas épiques, si bien qu'il n'existait aucun lecteur qui aimât l'intégralité de son oeuvre. On aimait sa sensibilité ou bien son sens du détail morbide, on aimait son humour ou bien son éthique politique, mais personne n'aimait tout ceci globalement, la mort et la vie, le sale et le propre, le beau et le laid, le lait et le vin, l'humeur et l'humide, l'idiot et l'enfant, le cuir et la pierre, l'oubli et la chair, parce que la littérature, pensait-on, n'était pas tout, ne pouvait pas l'être, et se devait totalement d'être l'un ou entièrement d'être l'autre.

A la question "quel est le sujet de votre prochain roman ?" l'auteur avait répondu : "demandez-moi plutôt quel est le verbe."

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publié le 13 mai 2016 à 10 h 34

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